Pour essayer de répondre à une question posée dans le commentaire d’un article précédent, nous avons tenté de rechercher des informations sur la réalité des risques associés à l’activité de désamiantage.
Si les risques associés aux expositions professionnelles à l’amiante en général sont bien établis et décrits, peu d’informations sont disponibles sur les effets de l’exposition à l’amiante parmi une population de désamianteurs. Les désamianteurs bénéficiant d’un dispositif de prévention du risque et de conditions de travail particulières, les conditions d’exposition ne sont pas les mêmes que pour les travaux ayant par le passé exposé des travailleurs à l’amiante. Par ailleurs, ce métier est encore jeune, beaucoup de désamianteurs issus du BTP ont pu, précédemment, être exposés à l’amiante dans l’exercice d’un autre métier, et compte tenu du temps de latence avant l’apparition des maladies, des statistiques fiables ne seront disponibles que dans les prochaines décennies.
L’Angleterre à une longueur d’avance en matière de mesures de prévention des risques liés à l’amiante lors d’opérations de désamiantage. En 1971, un dispositif a été mis en place chez nos voisins insulaires pour enregistrer la mortalité parmi les travailleurs de l’industrie manufacturière de l’amiante. A partir de 1987 les désamianteurs anglais travaillant sur certains types d’amiante ont été intégrés dans le dispositif et suivis médicalement. Lors de l’examen médical, ils devaient compléter un questionnaire indiquant leur date de première exposition professionnelle à l’amiante, et leurs habitudes de fumeur.
Après 1987, le questionnaire comprenait plus d’informations, et notamment pour les désamianteurs, le type de techniques de suppression des poussières utilisées, le type d’appareil respiratoire, et le nombre d’heures par semaine passées en zone confinée.
Une étude, restreinte aux personnes ayant exclusivement été exposées lors d’opérations de désamiantage, publiée dans le British Journal of Cancer en 2008 par G. Frost et al., et portant sur un ensemble de 52 387 désamianteurs suivis entre 1971 et 2005, dont la plupart sont devenus désamianteurs après 1983, indique, par cause de décès, la proportion de morts parmi ces désamianteurs, par rapport à la proportion attendue pour ce type de maladie dans la population en général.
Il apparait bel et bien une plus forte proportion de décès par asbestose, et par cancers des voies respiratoires chez les désamianteurs, mais aussi dans une moindre mesure, par cancer du colon, de l’estomac, du rectum, du foie et du rein.
Parmi les conclusions, on note aussi un risque aggravé par l’augmentation du temps de travail en zone de retrait et le tabagisme, mais qui décroît avec l’augmentation de l’âge de première exposition.
L’article précise qu’au cours du temps la réglementation et les pratiques de désamiantage ont évolué, et que l’effet des mesures de prévention les plus récentes ne sont pas encore connues.
L’absence d’effet sur la mortalité du choix des techniques de travail (à sec ou à l’humide) ou des protections respiratoires (ventilées ou pas) laisse cependant planer un doute sur l’application effective des bonnes pratiques renseignées dans les questionnaires individuels.
Anonyme
octobre 31, 2015 at 2:23Je vous remercie d’avoir rebondi sur mon dernier commentaire.
L’analyse anglaise est intéressante parce qu’il s’agit du pays d’Europe qui a eu la règlementation la moins contraignante et que les entreprises anglaises ont (avaient?) des méthodes de désamiantage assez rustiques et utilisant le matériel le moins technique (et l’un des moins cher) du marché européen.
Lorsque j’étais président de la section amiante du SNI, j’ai eu l’occasion de rencontrer plusieurs fois, autour de l’an 2000, l’un des deux syndicats professionnels anglais. Ils réfléchissaient beaucoup autour de la nécessité de renforcer leur réglementation en suivant l’exemple français.
Ils cherchaient à prendre pied sur le marché français, mais étaient conscients des énormes contraintes supplémentaires que cela représentait pour eux.
En fin de carrière, j’ai été missionné pour tenter de redresser une société de désamiantage anglaise en situation de cessation de paiement. J’ai pu constater l’écart de culture sécurité entre les anglais et les français.
Les statistiques anglaises permettraient donc de connaitre le haut de la fourchette du risque.
A noter que, compte tenu des très nombreuses incertitudes de l’analyse anglaise, il serait prudent de ne prendre en compte que les mésothéliomes, en première approche.
Une analyse similaire faite en Allemagne serait beaucoup plus probante évidemment. J’ai dirigé pendant 9 ans la filiale française du groupe allemand KAEFER et j’ai pu constater l’extrême professionnalisme et la technicité des entreprises allemandes et de leurs fournisseurs. Les techniques utilisées sont à bien des égard plus astucieuses que celles imposées par la règlementation française.
A noter que, toujours autour de l’an 2000, j’ai été invité (en tant que président du SNI Amiante) à contribuer à une étude de l’INRS Nancy qui souhaitait faire un suivi médical longitudinal des désamianteurs sur plusieurs décennies. Il m’était demandé de donner le nom de quelques sociétés importantes de désamiantage qui accepteraient de désigner chacune quelques dizaines d’opérateurs amiante n’ayant pas de passé d’exposition et capables de travailler dans le désamiantage au moins 20 ans encore. Cette “cohorte” a été constituée et je n’ai plus eu la moindre nouvelle de cette étude.
Ces analyses sont importantes parce que le fait de rendre très difficiles et couteux les chantiers de désamiantage à plus de 3.300 F/L ne résout pas le problème de santé pour les populations. La question est délicate, mais vaut-il mieux désamianter avec un risque minime non avéré ou prolonger l’exposition environnementale des populations avec un risque réel et mesuré?
CHEVALLIER Bruno
octobre 31, 2015 at 2:25J’ai oublié de signer mon commentaire précédent concernant l’épidémiologie des désamianteurs anglais. Veuillez m’en excuser.
admin
octobre 31, 2015 at 9:13Merci pour votre témoignage. Je crois que la situation en Allemagne est plus nuancée, et parfois différente d’un Land à l’autre. Une comparaison des situations a été réalisée à l’occasion de réunions entre inspecteurs du travail d’une part et entrepreneurs d’autre part, issus des deux côtés de la frontière entre l’Alsace et le Pays de Bade. En Allemagne, les règles sont peut-être plus respectées qu’ailleurs, mais il y en a moins, par exemple : toujours pas de qualification pour les travaux sur l’amiante-ciment, pas de déclaration ni plan de retrait pour les toitures de moins de 100 m2. Pour être qualifiée en amiante friable (Schwachgebundenes Asbest), sur dossier, une entreprise ne doit former qu’une personne par chantier, le chef (TRGS 519, durée 5 jours). La personne qui établit le plan de travaux n’a pas forcément à être formée, ni les opérateurs. Absence de fiches de suivi d’exposition. Il n’y a pas de DTA, ni de repérage avant vente. Le suivi médical est facultatif pour les travaux de “moindre ampleur” comme par exemple le retrait d’amiante friable de moins de 4 h avec deux opérateurs maxi et concentration inférieure à 100 F/l. Pour les travaux de retrait de “moindre ampleur” il n’est pas nécessaire faire une déclaration à chaque chantier, une seule déclaration de l’entreprise suffit (comme chez nous en sous-section 4, où l’inspection du travail croule sous l’afflux des modes opératoires).
L’amiante ciment peut être retiré avec un FFP2. L’Allemagne est le pays européen qui a le plus utilisé d’amiante, le seuil libératoire est de 0,5 F/L avec comptage au MEBA. Le taux de reconnaissance au titre des maladies professionnelles est comparable à celui de la France, mais le pays déplore que la mortalité due à l’amiante ne baisse toujours pas.
J’ai pu discuter avec des inspecteurs du travail allemands désemparés par les pratiques observées et le peu de moyens à leur disposition pour être efficace en matière de prévention amiante. De plus, comme il n’y a pas de repérages systématiques, la majorité des citoyens allemands ignorent tout du risque amiante, et pour la plupart de ceux qui en savent quelque chose, l’amiante est un problème du passé.
L’Angleterre, elle, a en effet essuyé les plâtres et longtemps cru que ventiler les masques était la solution. Des mesures plus contraignantes ont été prises après la publication du rapport de Robin Howie en 1996, qui a mesuré un facteur de protection assigné des TM3P de 40, beaucoup plus faible que le facteur nominal de 2000 pris en compte jusque-là. Cela a débouché sur le fit test obligatoire, les méthodes d’imprégnation à coeur, que nous découvrons actuellement dans les recommandations, et l’interdiction de fait de modes de retrait incontrôlables (retrait à sec ou sans aspiration à la source).
Chez nous, en 18 ans comme formateur, je n’ai pas encore trouvé un seul désamianteur français, belge, suisse ou allemand ayant pu m’expliquer comment il a pu imprégner à coeur un flocage ou un calorifugeage avec revêtement ou peinture en surface, avant de le retirer, à part celui qui avait déjà utilisé des aiguilles, mais ça n’allait pas assez vite pour lui. J’en conclus que les déflocages et décalorifugeage sont la plupart du temps fait avec une imprégnation pour le moins incomplète, que les réglementations, les guides techniques et les formations et les campagnes de mesure n’y changent rien.