Prévention du risque amiante : les donneurs d’ordres appelés à entrer dans la danse

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Il y a un an, un maître d’œuvre s’est vu condamné à une amende de 10 400 euros pour ne pas avoir pris en compte, sur un chantier de bâtiment, la présence d’amiante, pourtant connue du donneur d’ordre, une SCI dont les dirigeants ont également été condamnés à une amende, moins élevée cependant*.

Cet exemple est emblématique d’une situation qui devrait évoluer suite à l’entrée en vigueur de l’arrêté du 16 juillet 2019, imposant au donneur d’ordre le repérage de l’amiante avant tous travaux de bâtiment, si toutefois cet arrêté et ses conséquences arrivent à être connus au-delà du petit monde certifié du diagnostic et du désamiantage.

 

Une situation actuelle intenable pour les entreprises d’entretien et de rénovation

La possibilité d’une exposition à l’amiante sur un projet de travaux reste encore un sujet trop souvent ignoré, pour ne pas dire tabou. Ainsi, paradoxalement, nombre d’entreprises dont le personnel a été formé à la prévention du risque amiante se voient écartées des marchés de travaux d’entretien ou de rénovation de bâtiments.

Soit parce que celles-ci ont détecté la présence d’amiante lors d’une visite des lieux, ce qui les oblige à en tenir compte dans leur devis, qui devient alors moins attractif aux yeux du client, par rapport à celui d’autres entreprises moins au fait des risques encourus.

Soit parce qu’elles ont simplement demandé si un repérage de l’amiante était disponible, mot qui pour nombre de gens non-avertis, est encore synonyme de beaucoup de complications et de frais supplémentaires par rapport à des risques sanitaires beaucoup trop surestimés, et des risques juridiques la plus souvent ignorés.

Avoir laissé introduire par les professionnels de la construction, jusqu’à la date du 1er janvier 1997, jugée depuis comme bien tardive, les centaines de milliers de tonnes de produits amiantés, pour la plupart encore en place dans les bâtiments de notre pays, s’avère avoir été une très mauvaise idée. Cela se traduit par une énorme charge pour des propriétaires et exploitants de bâtiments qui pour la plupart n’y sont pour rien.

Toujours est-il qu’à présent le nombre de maladies professionnelles reconnues du fait d’une exposition à l’amiante n’a jamais été aussi élevé parmi les professionnels du BTP.

De plus, les scientifiques sont d’accord, en France comme ailleurs en Europe, pour considérer que le nombre de ces maladies est largement sous-évalué du fait de la difficulté d’identifier le lien entre l’apparition d’un cancer et l’exposition à l’amiante qui a eu lieu plusieurs dizaines d’années auparavant.

Sur le terrain, même si l’Etat, depuis plus de vingt-trois ans, a pris ses précautions en mettant en place une réglementation visant à protéger les travailleurs et le voisinage des chantiers, le problème est loin d’être réglé.

 

Un problème de santé publique

Les études montrent que le profil des victimes de l’amiante a évolué au cours du temps. Après une vague de mésothéliomes, le cancer de l’amiante, parmi les mineurs et les fabricants de produits amiantés, une deuxième vague a concerné les utilisateurs et les installateurs de ces produits dans l’industrie et le bâtiment.

Actuellement, une troisième vague de victimes de l’amiante progresse toujours parmi les personnes exposées, souvent sans le savoir, à des fibres d’amiante libérées par des matériaux en place, du fait de l’érosion naturelle ou lors d’opérations domestiques d’entretien ou de rénovation, ou encore par apport domestique de fibres d’amiante par un membre de la famille contaminé lors de ses activités professionnelles.

Si on n’y prend garde, on peut s’attendre à ce que les recherches en responsabilité, bien documentées et importantes pour la première vague d’expositions, émergentes pour la seconde, prendront une autre ampleur avec la troisième, tant le nombre de victimes potentielles, occupants de bâtiments et exécutants de travaux, est considérable.

 

Qui peut être tenu responsable des expositions survenues depuis 1996 ?

La prévention des expositions passives relèvent de la responsabilité des propriétaires, qui doivent informer tous les occupants des risques amiante via les documents imposés par le code de la santé : selon le type de locaux, le dossier technique amiante (DTA) ou le diagnostic amiante des parties privatives (DAPP).

Concernant la protection des travailleurs, suite à l’interdiction d’utiliser l’amiante dans le neuf, il restait à faire face aux situations d’exposition dans les bâtiments existants. La prévention des expositions à l’amiante des travailleurs a alors très clairement été mise à la charge de l’employeur.

Celui-ci doit veiller à ce qu’aucune intervention sur de l’amiante n’ait lieu sans une information préalable sur les risques de maladie liées à l’amiante, et une formation sur les moyens de réduire la présence de fibres d’amiante au niveau plus bas possible, conforme à l’arrêté du 23 février 2012.

Dans le cas où les salariés n’interviennent pas directement sur des matériaux contenant de l’amiante, mais risquent d’être exposés compte tenu de la présence de matériaux émissifs, ou de la proximité d’une intervention susceptible de libérer des fibres dans l’air, la formation obligatoire s’en tiendra aux exigences de l’article R 4412-87 du code du travail.

Dans beaucoup de cas de figure, le chef d’entreprise, ainsi que ses collaborateurs, dûment formé, est le seul à être considéré comme « sachant » lors d’une opération amiante. A ce titre, il doit, jusqu’à présent, lui-même réclamer un repérage de l’amiante à son donneur d’ordre, qui parfois, ignorant les sept principes de prévention qui lui incombe d’appliquer au titre du code du travail, refuse de financer la prestation d’un opérateur de repérage.

L’employeur qui ne veut pas exposer son personnel à des risques de maladie se retrouve alors dans une situation difficile puisqu’il ne dispose pas des moyens de savoir où se trouve l’amiante, et s’il est nécessaire de protéger son personnel et l’environnement du chantier avec des moyens adaptés.

 

Une nouvelle répartition des responsabilités

L’entrée en vigueur du repérage avant travaux le 19 juillet 2019 change la donne, puisque désormais, la réglementation impose clairement au donneur d’ordre, sous peine d’amende, de fournir un document de repérage de l’amiante, établi par un prestataire indépendant, pour permettre aux entreprises qu’il mandate de savoir si des matériaux amiantés se trouvent dans l’emprise des travaux, à quels endroits ils se trouvent, quelle est leur nature et leur quantité.

Ce repérage est également crucial pour éviter de disperser de l’amiante lors de la gestion des déchets de chantier, et conserver la possibilité de trier et de recycler les déchets non contaminés.

Il s’ensuit que les autres intervenants de l’opération, intervenant à la demande du donneur d’ordre, comme assistant à maître d’ouvrage, maître d’œuvre ou coordonnateur SPS, verront également leur responsabilité engagée s’il n’ont pas rappelé au donneur d’ordre ses obligations en matière de repérage amiante et de fourniture des moyens pour organiser la prévention des risques sur le chantier et dans son voisinage.

Ces professionnels devront notamment veiller à ce que les repérages soient réalisés par des opérateurs habilités, dans des conditions d’intervention en sécurité pour les éventuels occupants.

Une évaluation des rapports de repérage devra également être effectuée pour s’assurer de leur conformité, identifier et programmer, le cas échéant, les compléments qui devront être apportés au cours des travaux.

Il s’agira ensuite de sélectionner des entreprises capables de réaliser les travaux en sécurité et de respecter la réglementation.

 

Une formation pour faciliter les échanges entre les différents acteurs

La Carsat et la Direccte des Pays de la Loire ont récemment publié un cahier de charges pour organiser la formation des professionnels intervenant dans la prévention sur les chantier d’amiante et recommandent que la formation soit assurée par un organisme de formation certifié pour la formation des entreprises de retrait d’amiante, ou habilité pour des formations à des interventions sur les trois niveaux d’empoussièrement définis par le code du travail.

Les opérateurs de repérage, pour lesquels se profile un nouveau marché de repérage, avant et en cours de travaux, devraient également tirer bénéfice d’un tel programme de formation. Celui-ci leur permettra de mieux appréhender la manière dont seront utilisés les rapports de repérage qu’ils produisent, d’acquérir des connaissances sur le déroulement des projets de travaux, et de valoriser les compétences acquises dans leurs offres à leurs futurs donneurs d’ordres et lors de leurs échanges avec les autres intervenants des projets de travaux.

 

*https://www.letelegramme.fr/finistere/douarnenez/amiante-sur-un-chantier-des-peines-d-amende-prononcees-15-10-2018-12107357.php

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